La mission principale qui était assignée aux hommes du commando Georges était de collecter des informations auprès de la population et de traquer éventuellement les fidayin et les réseaux de soutien du FLN/ALN en vue de les démanteler. Pour ce faire, le commando disposait de ses propres réseaux dans les villes. Mais son champ d’action s’étendait jusqu’aux maquis.
Ses éléments s’astreignaient à une vie spartiate, similaire à celle que menaient les moudjahidine et s’habillaient aussi comme eux. Méthode qui s’avéra aussi efficace que peu couteuse pour procéder à des arrestations qui étaient de véritables kidnappings. C’est ainsi que, par exemple, des hommes déguisés du commando ont réussi à arrêter des cadres importants de la Wilaya V, parmi lesquels le lieutenant Bensadoun, et aussi des membres de l’Organisation politico-miliaire (OPA) identifiés par des agents infiltrés.
Usant des même méthodes d’infiltration, les hommes du commando Georges ont pu capturer, entre autres, un techniciens de radio de l’ALN, qui leur aurait communiqué le maillage radio et les méthodes des postes de transmission de l’ALN. Ce qui leur a permis de parasiter momentanément les liaisons mises en place depuis le Maroc jusqu’à Alger et transitant par Colomb-Béchar et Oran.
Autre « exploit » attribué à cette sinistre organisation : le démantèlement du commando de l’ALN conduit par Mohamed Cheikh qui préparait des actions d’envergure à Saïda. Au total, un millier de moudjahidine ou fidayine a été tué ou fait prisonnier, dont sept chefs successifs de la zone VI de la Wilaya V, et quelques milliers d’armes saisies.
Le commando ne s’est pas limité à combattre les hommes de l’ALN ou à déjouer leurs actions, il s’en prenait systématiquement à la population civile, en multipliant les exactions et les expéditions punitives. Sauf que, vers la fin de la guerre, au fur et à mesure que les accords d’Évian se précisaient, les dirigeants et les membres de cette unité atypique, à l’instar de l’ensemble des harkis et des supplétifs de l’armée coloniale, commençaient à s’inquiéter pour leur avenir : peur de vengeance, mais surtout crainte d’être abandonnés par la hiérarchie, qui elle-même, était, à ce moment-là, gravement divisée sur l’option à prendre. Gorges Grillot et ses adjoints seront encore indécis face aux tentations putschistes et au projet suicidaire de l’OAS qui sollicita les dirigeants du commando Georges pour se rallier à sa cause.
Grillot réclame et obtient la régularisation de la situation de ses hommes par un contrat à long terme de trois ans au titre de harkis pour la plupart de ses membres. En attendant, ils devaient être intégrés dans le secteur militaire de Saïda. Ils se sont « résignés » à accepter cette proposition « sous la réserve formelle qu’à échéance de ce contrat, on leur proposerait un statut offrant des garanties positives de stabilité (contrat à long terme) et de sécurité, notamment de leur famille, soit dans le cadre des Forces nationales, soit dans le cadre des forces algériennes ».
En mai 1962, le commando Georges fut officiellement dissous, en même temps que d’autres commandos de chasse, tels que les commandos Noire, Olifant et Cobra, transformés en compagnies du 1/8e régiment d’infanterie. Les quatre chefs de katibas du commando Georges – Riguet, Bendida, Habib et Smaïn – furent nommés sous-lieutenants. Durant cette période cruciale, les membres du commando se sentaient livrés à leur sort. Pour les Algériens enrôlés dans ce corps, le choix était difficile entre une intégration incertaine dans les nouvelles structures préconisées par les accords d’Evian et un départ qui leur paraissait tout simplement suicidaire. Il faut savoir qu’un décret du 20 mars 1962 offrait aux supplétifs musulmans d’Algérie un statut qui leur permettait, après la démobilisation, un engagement soit dans la force locale, soit dans l’armée ou même dans les Centres d’aide administrative qui remplaçaient les Sections administratives spécialisées (SAS). Mais Georges Grillot n’a pas réussi à placer ses hommes.
Juste avant la démobilisation, le FLN avait mené un travail en profondeur au sein des familles ou tribus supposées acquises aux hommes de Gorges Grilllot, et notamment à son bras droit Youssef Ben Brahim. Beaucoup de femmes ont réussi à persuader leur époux de s’écarter de ce groupe de mercenaires. Ce dernier n’a pas tardé à commettre des exactions, y compris dans les milieux qui lui étaient loyaux. Ce qui accélérera sa déconfiture.
Les autorités coloniales hériteront d’un lourd fardeau : que faire des 3 000 civils affiliés à ce commando ? D’entrée, elles refusent leur rapatriement en métropole. Face aux promesses de pardon du FLN, certains harkis désertent avec leurs armes, pour rejoindre les structures de l’ALN, d’autres sont carrément rentrés chez eux. Combien sont-ils, les harkis présumés repentis ? On ne le sait pas avec exactitude, mais la mémoire collective retient qu’ils seraient aussi nombreux que ceux qui ont choisi de quitter la terre natale.
Adel Fathi