Face à la ténacité de la résistance du peuple algérien et à son engagement irréversible aux côtés de son Armée de libération nationale, l’armée coloniale, sous l’impulsion de ses généraux, ébranlée par la chute de la IVe République, mais vite galvanisée par l’arrivée de Charles de Gaulle au pouvoir, eut l’idée diabolique de mettre en place de véritables commandos de la mort, dans le vain espoir de «pacifier» l’Algérie et d’endiguer l’élan révolutionnaire au sein de la population.
Composés essentiellement de supplétifs, ces commandos travailleront en coordination étroite avec les services de renseignements et les différents bureaux activant dans le domaine de l’action psychologique qui prenait alors une place prépondérante dans la stratégie de lutte contre «la rébellion».
C’est ainsi que plusieurs commandos de ce types ont été créés entre 1956 et 1959 en Algérie. On citera notamment le commando Guillaume, du nom d’un lieutenant parachutiste français, qui sema la terreur au sein de la population algérienne, notamment en Wilaya IV. Il y a eu aussi le commando Cobra, qui infesta longtemps la Wilaya V (Oranie). Dirigée par le lieutenant Gaget, cette unité est composée de 200 hommes, recrutés parmi les parachutistes et des harkis revanchards.
De tous ces commandos de chasse, le commando Georges reste le plus tristement célèbre par sa cruauté et ses méthodes machiavéliques. Constitué en 1959 par le lieutenant Georges Grillot, le commando Georges est composé principalement de membres de la Légion étrangère et de harkis fraichement ralliés à l’armée coloniale. Le capitaine Grillot était secondé par les lieutenants Armand Bénésis et Youssef Ben Brahim, chef harki de triste renom dans l’ouest algérien. Le commando était divisé en quatre groupes (appelés aussi katibas par mimétisme) : le commando1 Mohammedi, le commando 2 Riguet, le commando 3 Bendida, le commando 4 Mahmoud. Chaque groupe comptait 11 harkis équipés de mitrailleuses AA52.Sa mission principale était de traquer les moudjahidine dans les maquis, mais surtout autour des villages et des mechtas qui constituaient la base arrière naturelle de l’ALN. Son terrain de prédilection s’étendait à toute la Wilaya V historique.
Certains historiens français attribuent à ce commando des victoires qui auraient mis hors de combat 1000 combattants de l’ALN, dont une trentaine d’officiers et sept chefs successifs de de la zone VI de la Wilaya V, comprenant notamment les secteurs d’Aïn Sefra, Frenda, Sebdou et l’Ouersenis
Echaudés par les premières résultats des opérations menées par les commandos Georges et Cobra dans l’Oranie, l’état-major de l’armée coloniale organisa une visite «historique» du général de Gaulle à Saïda, le 27 août 1959. Le président français déclara ce jour-là à Youssef Ben Brahim, figure de proue des harkis dans cette région, adjoint de Georges Grillot à la tête du commando : « Terminez la pacification ! Une ère nouvelle s’ouvrira pour l’Algérie. »
Originaire de Saïda, ce combattant de la première heure au sien de l’ALN fut à la tête d’un réseau d’acheminement d’armes, de munitions et de médicaments, en provenance du Maroc, avant de se rendre à l’armée ennemie, dans des conditions qui restent à ce jour mystérieuses. Certaines sources attestent qu’il aurait quitté les rangs de l’ALN suite à des divergences avec les responsables du FLN/ALN installés au Maroc. Dénoncé pour cette attitude, il aurait été d’abord interné au centre de transit de Saïda. Et c’est là qu’il aurait été recruté par Georges Grillot qui venait de mettre en place, sur instigation de sa hiérarchie, un commando de la mort qui portera son nom. Celui-ci avait misé sur l’apport des harkis mus par un sentiment de vengeance envers les maquisards de l’ALN.
Son dévouement pour l’armée ennemie et son zèle remarqué dans la traque de ses frères le menèrent à s’imposer longtemps à la tête de ce commando. Le colonel Bigeard le couva d’éloges, qualifiant ses résultats obtenus sur le terrain de «sensationnels» et estimant, dans ses mémoires, que « le commando Georges deviendra un outil terrible qui donnera le frisson à l’ennemi et se fera un nom dans toute l’Algérie ». Entre janvier 1959 et janvier 1961, Youssef Ben Brahim aurait, selon ses laudateurs, réussi à « détruire » les maquis de l’ALN dans la région de Saïda et à rallier un certain nombre de moudjahidine. Ce qui lui a valu de nombreuses récompenses, dont une légion d’honneur qui lui a été remise sur son lit d’hôpital, suite à sa blessure en 1961. En 2010, son nom sera donné à une promotion d’officiers de l’Ecole d’application d’infanterie de Montpellier.
Le commando Georges sera dissous en avril 1962. Après le cessez-le-feu, la plupart de ses membres encore en vie furent rapatriés en France, comme ce fut le cas de l’ensemble des harkis. Youssef Ben Brahim, lui, a été rapatrié en Dordogne et sera assassiné en 1968 par un de ses anciens fidèles pour une histoire de mœurs.
Adel Fathi