L’Hadj Arezki Ouhouach : Le poète mystique de Djemâa Saharidj

Les poètes et bardes de la Kabylie du XIXe jusqu’au début du XXe siècle étaient connus pour leur poésie orale qu’ils déclamaient au gré des vents.

Considérés tantôt comme des fous, tantôt comme des possédés, ils erraient dans les rues des bourgs et villages de Kabylie, semant les mots à qui voulait bien les entendre. Misère sociale, injustice, tristesse, mort, étaient leurs thèmes favoris, en cette Algérie colonisée.

Beaucoup connaissent Si M’hand U M’hand, ou Mohand Ou Lhusin, mais il y avait d’autres aussi, tels Youcef Oukaci, Mohand Oumoussa Aouaguenoun ou encore L’hadj Arezki Ouhouach, ce dernier était natif de Djemâa Saharidj.

Appartenant au âarch des Ath Fraoussen, Arezki Ouhouach est né présumé en 1838 à Djemâa Saharidj, selon le registre matrice de la commune de Mekla qui stipule « Agé de 55 ans en 1893 ».

Issu d’une modeste famille, le jeune Arezki n’aura pas la chance de s’instruire. Aussi, ne fréquentant ni l’école coranique du village -pourtant, il sera un fervent pratiquant-, ni l’école française qui n’existait pas dans son village, il sera berger. Durant les longues journées qu’il passait seul dans les champs, le jeune garçon jouait avec flûte taillée dans le roseau des chants du terroir. La mélodie qui, au départ, l’aidait à meubler ses moments de solitude, deviendra peu à peu, une véritable passion qu’il traînera tout au long de sa vie.

Voyage à la Mecque

Bien qu’il n’ait pas fréquenté l’école coranique, le jeune Arezki sera très tôt porté sur la religion dont il devient un fervent pratiquant. Aussi, par un concours de circonstances, il aura la chance d’accomplir le 5e pilier de l’islam, en allant effectuer un pèlerinage à la Mecque à l’âge de… 16 ans.

En cette fin de printemps de l’année 1854, le jeune garçonnet rentre des pâturages pour avaler un repas frugal, avant de reconduire le troupeau vers les plaines, quand il entend les chants religieux venant de loin. Ce sont les futurs pèlerins de la localité qui font la tournée pour la traditionnelle collecte. Arezki court les rejoindre et se mêle gaiement au groupe de croyants. A ce moment-là, l’homme portant l’étendard l’attire à ses côtés et lui caresse le visage avec l’étoffe sainte. Pour le jeune Arezki Ouhouach c’est une invitation à faire du voyage vers les Lieux Saints de l’islam qui ne se refuse pas.   

Malgré son jeune âge, il est tout enthousiaste contrairement à son père qui s’affole car n’ayant pas les moyens d’un tel déplacement. Pourtant, refuser d’y aller serait vu comme une trahison au prophète Mohamed (QSSSL).

C’est le frère aîné d’Arezki, Mohand Ameziane, agriculteur de son état, qui vient apporter son aide et s’engager auprès de son père qu’Arezki irait accomplir son devoir religieux.

Le jour du départ, c’est à dos de cheval qu’Arezki Ouhouach se rend au port d’Alger, en compagnie du convoi de pèlerins. Malheureusement, prenant du retard au cours du trajet, la délégation rate le départ du bateau-bus. Pour pallier à cet incident, ils embarquent à bord d’un petit voilier qui, arrivé au large, est pris au cœur d’une violente tempête. Face aux vagues qui menaçaient d’engloutir la modeste embarcation, le maître à bord, demandait instamment aux occupants de prier pour ne pas mourir noyés au milieu de cette mer en furie.

Tous les passagers priaient dans une grande ferveur, implorant Dieu de leur prêter la vie sauve mais sous la menace de vagues hautes de plusieurs mètres, la peur gagnait chacun d’eau. C’est à ce moment que le jeune Arezki poussa un cri strident en disant : « Annagh andda tellamt a tudjal timezzyanin ! » (Où êtes-vous ô veuves si jeunes !). En effet, su ultime pensée, avant de tomber inanimé, était pour une jeune veuve de son village à qui il prêtera, en songe, cette réplique : « Tessumlem-agh ! Attan sfina nwen ! » (Vous nous agacez ! Voilà votre bateau !).

Mais voilà, ô miracle, Dieu avait répondu à leurs prières puisque soudainement la tempête se calma. Revenu à lui, Arezki était tout ébahi et c’est mésaventure lui inspira immédiatement trois poèmes dans lesquels il narra sa douloureuse traversée. (Voir encadré).

De retour du pèlerinage, l’Hadj Arezki Ouhouach reprend son quotidien. Il fait plusieurs métiers dont celui de meddah. Un jour, il se rend à Tifrit n Ath Ou-Malek. Muni de son petit bendir il parcourt le village en déclamant des vers. A la tombée de la nuit, il se dirige vers la zaouïa de Sidi M’hand Ou Malek pour y trouver refuge jusqu’au matin. Après la prière d’El icha, l’Hadj Arezki Ouhouach s’approche des tolba de la zaouia et commence à leur déclamer des poèmes mystiques avant d’entamer des cantiques et litanies. L’assistance était comme envoûtée par ses chants et il en fut ainsi jusqu’au matin.

Après la prière d’El Fedjr, les fidèles commencent à quitter le lieu. L’hadj Arezki s’apprêtait à en faire de même, pour poursuivre sa tournée, quand il est cordialement invité par le cheikh à rester encore. Il accepta. Le Cheikh de la confrérie invita tout de suite après ses jeunes étudiants à se rassembler autour de lui. Ceux-ci s’empressèrent aussitôt de former un demi-cercle face à leur maître. Puis, désignant notre poète, le Maître s’adressa à son auditoire : « J’ai retenu cet étranger qui s’apprêtait à partir… Je l’ai retenu parce que nous lui devons récompense ! En effet, nous devons le récompenser pour avoir assuré l’animation de ce lieu de culte la nuit durant ! »

Après s’être inspiré de quelques pages lues dans le livre de l’Ancêtre-fondateur de la confrérie, le cheikh ajouta : « Sidi M’hand Ou Malek a écrit que ce que diraient ses successeurs à la tête de la zaouïa, c’est lui qui l’aurait dit ». S’adressant ensuite à l’Hadj Arezki, il poursuit : « nous faisons trois vœux en ta faveur : d’abord une vie aisée, ensuite du talent en thérapeutique et, enfin, une intelligence constamment en éveil. »

On raconte que, dès lors, l’Hadj Arezki Ouhouach connut un essor considérable dans le domaine poétique, améliorant ses textes, dédiés au prophète Mohamed (QLSSSL) et à la religion musulmane.

L’Hadj Arezki Ouhouach se maria deux fois. Avec sa première épouse, il n’aura pas d’enfant, avec la seconde, il en aura deux : Malha, née présumée en 1878 et Tahar en 1887.

Atteinte d’une grave maladie, la seconde épouse de l’Hadj Arezki le laissera une nouvelle fois veuf et c’est la jeune Malha qui prendra en charge les tâches domestiques et l’éducation de son jeune frère âgé d’à peine dix mois. L’Hadj Arezki, pour sa part, demeurera veuf jusqu’à la fin de ses jours.

Son décès survient accidentellement, en 1927. Selon Gabriel Lambert, un arrière-petit-fils de Louis et d’Albertine Viguié, premiers enseignants de l’école de Djemâa Saharidj et amis de l’Hadj Arezki Ouhouach, ce dernier, « serait décédé un mois d’août, noyé à proximité du moulin à grains qu’il exploitait au ravin Bouhlou et ce, suite à une crue soudaine, provoquée par un violent orage ». Un accident auquel l’Hadj Arezki ne put réchapper parce que devenu aveugle avec l’âge. Il avait 89 ans.

Hassina Amrouni

Source :

http://bidanetmoultinfos.unblog.fr/2013/06/01/le-poete-de-djemaa-saharidj-a-la-decouverte-de-lhadj-arezki-ouhouach-dans-son-intimite/

Encadré

La première

« Ghligh deg lebhar s lqed / Leslak oulahed / Alama houdden ssalhin

Lmouja koul tha tezzem-ed / Izriw yemarmegh-ed / Ghaf lehbab wid nettissin

Mi d Rebbi ma ikheli hed / A youl tfiker-ed / Wissen an ffegh d ssalmin »

Je suis tombé raide au milieu de l’océan / Sans issue aucune / À moins d’un salut prodigieux

Les déferlantes surgissant de toutes parts / Et de larmes mes yeux s’emplirent / Me remémorant amis et connaissances

Dieu n’abandonnant guère ses créatures / Ô mon cœur aie une pensée pieuse / Sans doute allons-nous sortir indemnes.

La seconde

« Ghligh deg lebhar neblaâ / Lhout lay inechaâ / Lmouja la dettsifi

Ssfina choudden-as teqlaâ / Oulanda itt neqdaâ / Rrayes iâemmed iyounfi

Mi d Rebbi ahbib neqouraâ / A nezguer an mnaâ / Ghoures ay tella dwa chafi »

Je suis tombé au milieu de l’océan, englouti par les eaux / Les sélaciens guettant la moindre proie / Et les vagues poursuivant leur déferlement

L’embarcation à la merci des flots / Sans maîtrise aucune / Le commandant de bord ayant abandonné le gouvernail

Du Tout-Puissant nous attendons / Que notre traversée aboutisse / Car Lui seul détient le remède miraculeux.

La troisième

« Ghligh deg lebhar yewsaâ / Deg rrif ar lqaâ / Our di bwi hed lekhbar-is

Qlil deg medden akw tmaâ / Âudden ay isseblaâ / Koul wa dag iheddar woul-is

Mi d Rebbi ahbib d amchafaâ / Iwaâed an mnaâ / Qbel rrouh mazal yaghdis »

Je suis tombé au milieu de l’océan incommensurable / De la surface jusqu’au fond / Nul n’est censé connaître la profondeur

Très mince était l’espoir de chacun / Tous croyaient que j’allais être englouti / Et chacun ce qu’il imagina

Comme Dieu en est le Sauveteur / Il fit que nous sortions indemnes / Pour que nous survivions avant d’être rappelés à Lui.

Poèmes de l’Hadj Arezki Ouhouach

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